Refuge en Suisse (1762-1765)
Villeroy (Mennecy), Dijon, Dole, Salins-les-Bains, Pontarlier, Yverdon-les-Bains, Fiez, Môtiers, Boveresse, Saint-Sulpice, Travers, Brot-Dessous, Colombier, Pierrenod, Monlési, Buttes, Le Bied, Saint-Aubin, Estavayer-le-Lac, Grand'Combe-Châteleu, Saut du Doubs, La Pidouse, Fontaines, Goumoëns-la-Ville, Cressier, Chasseron, Morges, Nyon, Thonon-les-Bains, Boudry, Champ du Moulin, Creux du Van, Clusette, Neuchâtel, Couvet, Gorgier, Bienne, Le Locle, La Chaux-de-Fonds, La Ferrière, Ile de Saint-Pierre, La Tourne, Plamboz, Les Brenets, Robella
jun. 1762-jul. 1762 | jul. 1762 | jul. 1762-avr. 1763 | avr. 1763-jui. 1763 | jui. 1763-jul. 1764 |
jul. 1764-jan. 1765 |
jan. 1765-jul. 1765 | jul. 1765-oct. 1765
Juillet 1765-octobre 1765
Neuchâtel, Ile de Saint-Pierre, Brot-Dessous, Môtiers, Creux du Van, Colombier, La Tourne, Plamboz, Le Locle, Les Brenets, Saut du Doubs, La Chaux-de-Fonds, Robella
- 30 juin, Rousseau est à Neuchâtel, à l'Hôtel de la Couronne («Chronologie», p. 169).
- 3 juillet, séjour à l'Île de Saint-Pierre avec Thérèse et F. H. d'Ivernois (CC 4514; OC I, p. 636).
La forme de ce lac est un ovale presque régulier. Ses rives, moins riches que celles des lacs de Genève et de Neufchâtel, ne laissent pas de former une assez belle décoration, surtout dans la partie occidentale qui est très peuplée, et bordée de vignes au pied d'une chaine de montagnes, à peu près comme à Côte-rotie, mais qui ne donnent pas d'aussi bons vins. On y trouve en allant du Sud au Nord le Bailliage de St. Jean, Bonne-Ville, Bienne et Nidau à l'extrémité du lac; le tout entremêlé de villages très agréables (OC I, p. 637-638).
Les rives du lac de Bienne sont plus sauvages et romantiques que celles du lac de Genève, parce que les rochers et les bois y bordent l'eau de plus près; mais elles ne sont pas moins riantes. S'il y a moins de culture de champs et de vignes, moins de villes et de maisons, il y a aussi plus de verdure naturelle, plus de prairies, d'azyles ombragés de boccages, des contrastes plus fréquens et des accidens plus rapprochés. Comme il n'y a pas sur ces heureux bords de grandes routes commodes pour les voitures, le pays est peu fréquenté par les voyageurs; mais qu'il est intéressant pour des contemplatifs solitaires qui aiment à s'enivrer à loisir des charmes de la nature, et à se recueillir dans un silence que ne trouble aucun autre bruit que le cri des aigles, le ramage entrecoupé de quelques oiseaux, et le roulement des torrens qui tombent de la montagne. Ce beau bassin d'une forme presque ronde enferme dans son milieu deux petites Isles, l'une habitée et cultivée, d'environ demilieue de tour, l'autre plus petite, déserte et en friche, et qui sera détruite à la fin par les transports de la terre qu'on en ôte sans cesse pour réparer les dégats que les vagues et les orages font à la grande (OC I, p. 1040-1041).
- 14-15 juillet, R. séjourne à Neuchâtel, à l'Hôtel de la Couronne (CC 4553).
- 15 juillet, R. passe à Brot-Dessous.
- 15 juillet, retour à Môtiers.
- 25 juillet, rendez-vous à Brot-Dessous pour une excursion au Creux du Van avec Pury, DuPeyrou, d'Escherny et Gagnebin (CC 4504, 4532, 4540 et 6003; Mélanges, p. 41-46). Le nom de R. est inscrit sur la Roche aux noms qui se trouve à côté du drapeau suisse peint sur la falaise de nord-ouest. Comme Gagnebin fréquentait cet endroit à la recherche de plantes rares, il y a sans doute amené le philosophe.
- Juillet?, partis du château de Colombier, via La Tourne, Plamboz, Le Locle et Les Brenets, R. et d'Escherny visitent le Saut du Doubs. Au retour, ils passent par La Chaux-de-Fonds (Mélanges, p. 17-23 et 32).
- Juillet?, promenade à la Robella (OC I, p. 1070-1071).
Je me rappellerai toute ma vie une herborisation que je fis un jour du coté de la Robaila montagne du justicier Clerc. J'étois seul, je m'enfonçai dans les anfractuosités de la montagne et de bois en bois, de roche en roche, je parvins à un réduit si caché que je n'ai vu de ma vie un aspect plus sauvage. De noirs sapins entremêlés de hêtres prodigieux dont plusieurs tombés de vieillesse et entrelacés les uns dans les autres fermoient ce reduit de barriéres impénétrables, quelques intervalles que laissoit cette sombre enceinte n'offroient au delà que des roches coupées à pic et d'horribles précipices que je n'osois regarder qu'en me couchant sur le ventre. Le Duc, la chevêche et l'orfraye faisoient entendre leurs cris dans les fentes de la montagne, quelques petits oiseaux rares mais familiers temperoient cependant l'horreur de cette solitude. Là je trouvai la Dentaire heptaphyllos, le ciclamen, le nidus avis, le grand lacerpitium et quelques autres plantes qui me charmérent et m'amusérent longtems. Mais insensiblement dominé par la forte impression des objets, j'oubliai la botanique et les plantes, je m'assis sur des oreillers de Lycopodium et de mousses, et je me mis à rêver plus à mon aise en pensant que j'étois là dans un refuge ignoré de tout l'univers où les persécuteurs ne me déterreroient pas. Un mouvement d'orgueil se mêla bientot à cette rêverie. Je me comparois à ces grands voyageurs qui découvrent une Ile déserte, et je me disois avec complaisance: sans doute je suis le prémier mortel qui ait pénétré jusqu'ici; je me regardois presque comme un autre Colomb. Tandis que je me pavannois dans cette idée j'entendis peu loin de moi un certain cliquetis que je crus reconnoitre; j'écoute: le même bruit se repete et se multiplie. Surpris et curieux je me léve, je perce à travers un fourré de broussaille du coté d'où venoit le bruit, et dans une combe à vingt pas du lieu même où je croyois être parvenu le prémier j'aperçois une manufacture de bas.
[...]
Mais en effet qui jamais eut du s'attendre à trouver une manufacture dans un précipice. Il n'y a que la Suisse au monde qui présente ce mélange de la nature sauvage et de l'industrie humaine. La Suisse entiére n'est pour ainsi dire qu'une grande ville dont les rues larges et longues plus que celle de St Antoine, sont semées de forets, coupées de montagnes, et dont les maisons éparses et isolées ne communiquent entre elles que par des jardins anglois (OC I, p. 1070-1072).
- 8 septembre, suite à la lapidation, R. quitte Môtiers avec Meuron.
- 8 septembre, R. passe la nuit à Neuchâtel chez DuPeyrou.
- 9 septembre, R. s'installe à l'Île de Saint-Pierre. La chambre qu'il a occupé se trouve dans l'Hôtel-Restaurant St-Petersinsel.
De toutes les habitations où j'ai demeuré (et j'en ai eu de charmantes), aucune ne m'a rendu si véritablement heureux et ne m'a laissé de si tendres regrets que l'Isle de St Pierre au milieu du lac de Bienne (OC I, p. 1040).
Il n'y a dans l'Isle qu'une seule maison mais grande, agréable et commode, qui appartient à l'hopital de Berne ainsi que l'Isle, et où loge un Receveur avec sa famille et ses domestiques. Il y entretient une nombreuse basse-cour, une voliere et des réservoirs pour le poisson. L'Isle dans sa petitesse est tellement variée dans ses terrains et ses aspects qu'elle offre toutes sortes de sites et souffre toutes sortes de cultures. On y trouve des champs, des vignes, des bois, des vergers, de gras pâturages ombragés de bosquets et bordés d'arbrisseaux de toute espéce dont le bord des eaux entretient la fraîcheur; une haute terrasse plantée de deux rangs d'arbres borde l'Isle dans sa longueur, et dans le milieu de cette terrasse on a bâti un joli salon où les habitans des rives voisines se rassemblent et viennent danser les dimanches durant les vendanges (OC I, p. 1041).
- A partir du 9 septembre, Île de Saint-Pierre, R. se promène dans l'île et sur le lac en bateau.
J'ai toujours aimé l'eau passionnément, et sa vue me jette dans une rêverie delicieuse, quoique souvent sans objet déterminé. Je ne manquois point à mon lever lorsqu'il faisoit beau, de courir sur la terrasse humer l'air salubre et frais du matin, et plâner des yeux sur l'horizon de ce beau lac, dont les rives et les montagnes qui le bordent enchantaient ma vue. Je ne trouve point de plus digne hommage à la divinité que cette admiration muette qu'excite la contemplation de ses œuvres et qui ne s'exprime point par des actes développés (OC I, p. 642).
Pour les après-dinées, je les livrois totalement à mon humeur oiseuse et nonchalante et à suivre sans regle l'impulsion du moment. Souvent quand l'air étoit calme j'allois immédiatement en sortant de table me jetter seul dans un petit bateau que le Receveur m'avoit appris à mener avec une seule rame; je m'avançois en pleine eau. Le moment où je dérivois me donnoit une joye qui alloit jusqu'au tressaillement et dont il m'est impossible de dire ni de bien comprendre la cause, si ce n'étoit peut être une félicitation secrete d'être en cet état hors de l'atteinte des méchans. J'errois ensuite seul dans ce lac approchant quelquefois du rivage, mais n'y abordant jamais. Souvent laissant aller mon bateau à la merci de l'air et de l'eau je me livrois à des reveries sans objet et qui pour être stupides n'en étoient pas moins douces. Je m'écriois parfois avec attendrissement: ô nature, ô ma mére, me voici sous ta seule garde; il n'y a point ici d'homme adroit et fourbe qui s'interpose entre toi et moi. Je m'éloignois ainsi jusqu'à demi lieue de terre; j'aurois voulu que ce lac eut été l'océan (OC I, p. 643-644).
Quand le lac agité ne me permettoit pas la navigation je passois mon après-midi à parcourir l'Isle en herborisant à droite et à gauche, m'asseyant tantot dans les réduits les plus rians et les plus solitaires pour y rêver à mon aise, tantot sur les terrasses et les tertres pour parcourir des yeux le superbe et ravissant coup d'œil du lac et de ses rivages couronnés d'un côté par des montagnes prochaines, et de l'autre élargis en riches et fertiles plaines dans lesquelles la vue s'étendoit jusqu'aux montagnes bleuâtres plus éloignées qui la bornoient (OC I, p. 1044-1045).
- 26 octobre, R. quitte l'Île de Saint-Pierre avec Kirchberger.
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